dimanche 10 avril 2011

Le Club Arcadia


Le Caire, Mai 1888

Je me préparais pour la soirée au club Arcadia. J’enfilais ma belle robe rouge et noire, heureuse de pouvoir utiliser ce bel atour que je n’avais jamais mis, et qui pourtant, devait bien m’appartenir depuis presque un an. Vassilia, avec une ferveur inquiétante, s’était dévouée pour habiller la jeune égyptienne, la sortir un peu de ses frusques habituelles. La jeune Naama allait être mise au pas…

A l’heure convenue, nous nous présentions devant les portes du club. Celui-ci était situé non loin de l’hôtel Shepard, un des établissements hôteliers les plus luxueux du Caire, ainsi que de l’ambassade anglaise. Un majordome nous ouvrit rapidement et proposa de nous conduire auprès de la veuve Al’Fayah.

Le club était un bordel sans nom. On aurait dit que des générations entières d’aventuriers s’étaient données rendez-vous là pour y déposer -y entasser- des souvenirs en provenance des quatre coins du globe. Le moindre meuble croulait sous les objets disposés chaotiquement dessus. Les murs étaient couverts de peintures, de tapisseries et de collections trop imposantes pour être rangées sur les étagères.

Après une visite de cette sorte de commémoration à l’étendue et l’influence du club Arcadia, le majordome nous fit entrer dans un petit salon. La veuve nous y attendait, ainsi qu’un vieil homme. Au visage de Vassilia, je perçus qu’elle le connaissait déjà. Mme Al’Fayah nous présenta puis fit de même avec l’homme aux cheveux blancs. Il s’appelait Irvin d’Arcadia, le directeur du club du Caire. Rien que ça.

Irvin prit la parole pour nous clarifier la situation compliquée dans laquelle nous étions alors plongées. Il commença par nous exposer le rôle de Jean-Sem au sein du club Arcadia. Sous couvert d’être un trafiquant d’arts et de travailler pour la Bursbury’s de Londres -qui était aux mains du Club Arcadia-, Jean Sem avait un rôle particulier : celui de retrouver de dangereux artefacts.

Ce fut le moment pour le vieil homme de nous expliquer un petit secret du club Arcadia. Depuis sa création, cent ans auparavant, dans sa recherche de compréhension de l’univers et son étude de l’Histoire de l’humanité, le club fit la découverte d’objets puissants et dangereux pour les Hommes. Très vite après ses débuts, le club se vit faire le choix de mener une mission secrète : celle de retrouver ces objets, sortes d’artefacts d’une nature inconnue mais destructrice, et de les mettre en sûreté, loin de toutes les mains avides de leurs pouvoirs.

Mais, comme aucune œuvre humaine ne peut survivre à la tentation des égos malsains, le club Arcadia fut trahi par une partie de ses membres. Ils décidèrent de s’emparer de ces objets méconnus mais porteurs de promesses de puissance, dans le but de les utiliser à leurs profits. Ces individus sont devenus une des organisations les plus dangereuses au monde : le Masque Noir. Le fameux MN de la lettre d’Ada à Jean Sem.

Selon le directeur du club du Caire, le Masque Noir disposait d’une importante base dans les alentours de la capitale égyptienne. Mais, jusqu’alors, les membres d’Arcadia n’avaient jamais réussi à la trouver. La seule information à propos du Masque, c’était qu’un certain professeur Yeag, un égyptologue, était chargé de la direction de cette organisation en Egypte. Il était donc évident que la base du MN devait se trouver dans un site de fouille ou une nécropole.

Irvin nous confia de ne peut divulguer les informations à propos du Masque Noir. Ce secret, qu’une grande partie des membres du club ignorait, devait le rester le plus longtemps possible.

Après ces révélations surprenantes, le vieil homme me questionna sur le fait que je n’étais pas entrée dans le club Arcadia. Je répliquai n’avoir pas eu le temps de me pencher sur la question.

A la vérité je pensais que les membres de ce club étaient des intellos pompeux et imbus de leurs découvertes. J’étais -et je suis toujours- une femme d’action qui aimait l’aventure et le danger, les péripéties périlleuses pas toujours très légales et les mauvais garçons. Et cette histoire de Masque Noir et d’artefacts dangereux commençait à me plaire.

Puis il commença à vanter les mérites du club auprès de Naama. Me rappela une dernière fois de penser à une éventuelle adhésion au club et la conversation s’orienta sur des problèmes plus urgents.

Vassilia interrogea nos hôtes sur la nécropole dont parlait la lettre d’Ada adressée à Jean Sem et dans laquelle elle suspectait le Masque Noir d’être très actif. Il y avait bien, sur notre liste des lieux suspects, l’ancienne ville à l’est du Caire, où une cité souterraine de plusieurs étages s’enfonçait dans le sol et dont de nombreuses parties restaient inexplorées. Irvin fit envoyer un télégramme à Ada, sa cousine, installée à Londres, depuis laquelle elle dirige le club Arcadia tout entier.

Nous parlâmes ensuite d’un moyen de dénicher les agents du Masque Noir. Malheureusement la discrétion était leur point fort. Peu de renseignements étaient arrivés jusqu’entre les mains d’Arcadia sur l’organisation de ces criminels. Les seules choses qui nous furent révélés à l’époque, c’est que les MN constituaient une organisation criminelle très structurée et hiérarchisée, dont les barons constituaient le haut de l’échelle. Mais peu des hauts-gradés du Masque Noir avaient été démasqués. D’ailleurs c’était l’une des manières de les reconnaître : en opération ils apparaissaient toujours recouverts d’un masque, plus ou moins décoré suivant leur importance au sein de l’organisation.

Nous reçûmes très rapidement la réponse d’Ada. Dans sa lettre elle parlait bien de la nécropole du Caire. Elle suspectait le MN de s’y dissimuler. Cependant, rien n’affirmait que la base principale s’y trouvait.

J’interrogeai la veuve Al’Fayah sur son anneau et sur sa signification. Elle m’avoua qu’il était un signe d’appartenance au club mais aussi de la connaissance du secret des artefacts et de l’implication dans la recherche de ceux-ci. Je sortis alors l’anneau laissé par Jean Sem pour le montrer à Irvin et Mme Al’Fayah. Irvin pensa que le numéro à l’intérieur, comme le supposait Vassilia, était le numéro d’un coffre à la Bank of England. Nous envoyâmes le plus vite possible un nouveau télégramme à Ada pour qu’elle tente de découvrir le contenu de ce coffre. Malheureusement il ne serait pas possible de clarifier ce mystère avant l’ouverture de l’établissement bancaire.

Nous réfléchîmes alors à la manière d’agir pour retrouver la trace de Jean Sem au plus vite. Irvin semblait très pessimiste sur nos chances de retrouver Jean Sem… vivant.

Une idée me vint alors en tête. Je la proposai immédiatement à mes compagnons. Elle consistait à avancer la vente du cube, le fameux artefact dont nous ignorions alors où il se trouvait. Mme Al’Fayah éclata de rire au moment où je déclarai « ce n’est pas parce que l’on ne possède pas le cube qu’on ne peut pas le vendre ». Cependant deux bonnes journées seraient nécessaires pour avancer la vente et trop d’objets annoncés à la vente manquaient.

Naama profita d’un calme pour nous annoncer qu’elle connaissait deux gangs ottomans qui étaient bien du genre à jouer les gros bras pour le compte du MN. Vassilia proposa aussitôt de tenter une approche diplomatique avec eux dans le but d’obtenir des renseignements sur leurs employeurs, moi je proposai d’y aller de manière plus féroce et plus persuasive. Mais ce n’était pas le moment de faire un étalage de points de vue.

Naama était au cœur de nos questions. Elle savait où se trouvait ces gangs, qui les dirigeaient, mais elle ne connaissait pas grand-chose de leurs organisations internes, ni sur le moyen de déterminer efficacement lequel avait œuvré pour le Masque Noir.

Je percutai alors sur le fait que les gangsters qui avaient enlevé Jean Sem devaient très certainement avoir gardé sa voiture comme trophée. Un tel objet, rare et précieux, ne pouvait pas laisser indifférent un chef de gang avide de renommée et de pouvoir. Et sur ces deux derniers points… ils le sont tous. Il nous fallait donc rendre visite aux deux gangs et voir lequel venait de faire l’acquisition d’un véhicule motorisé.

Peu après nous quittions le club Arcadia pour retourner à notre hôtel. Je passai juste en coup de vent chez Jean Sem, au cas où Kyle n’est pas été enlevé et qu’il ait laissé un mot à mon attention. Mais il n’y avait rien.

Le lendemain matin, nous devions nous retrouver pour petit-déjeuner ensemble. Mais déjà la jeune guide nous avait fait faux bond. Probablement était-elle trop intimidée par cette sombre affaire avec le Masque Noir.

Alors que Vassilia et moi sortions de l’hôtel, nous découvrîmes la jeune Naama sur le chemin du retour. Elle avait été faire un tour chez un apothicaire au sujet d’une potion trouvée sur un des mecs en noir impliqué dans l’assassinat d’Isam. Elle nous confia qu’il s’agissait d’un puissant sérum de vérité avant que nous nous mettions en route vers les quartiers plus pauvres de la ville.

Grâce à notre jeune guide, nous avions retrouvé le gang « propriétaire » d’une belle voiture européenne.

Nous nous rendîmes donc à la demeure occupée par le gang Ali Fayouf. Mais une question demeurait en suspend : comment allions nous agir ? Vassilia opta pour la diplomatie… Cette voie manquait un peu d’intérêt à mes yeux, surtout avec ce genre de vauriens en face de nous, mais bon… je n’allais pas ôter à ma cousine une tentative pour régler au plus vite cette histoire et nous permettre de retrouver la piste de Jean Sem rapidement.

Nous entrâmes dans la propriété du chef du gang Aly Fayouf. Celui-ci, un homme d’une cinquantaine d’années un peu bedonnant avec une épaisse moustache bien taillée, se tenait au volant de la voiture de Jean Sem. Il amusait ses amis, ainsi que les femmes et les enfants qui se tenaient là pour admirer l’engin. Vassilia s’avança sous les regards interrogatifs de la petite assemblée.

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