lundi 28 mars 2011

Arrivée au Caire

Suez, Mai 1888

Le pacha, un luxueux bateau faisant la route de Bombay à Marseille, glissait doucement le long des quais à l'entrée du canal de Suez. La chaleur étouffante du milieu de journée était tempérée par une légère brise marine.

Cachée par un large chapeau, j’observais la foule massée le long du débarcadère. Mes cheveux auburn flottaient dans l'air. Je plissai les yeux pour tenter de retrouver sa cousine du regard. La couleur bleu-azur de mes yeux les rendait sensibles à la forte luminosité ambiante. Je finis par repérer ma cousine, Vassilia. Celle-ci était une femme brune, toujours très bien habillée, avec un maintien qui aurait fait pâlir un soldat en parade.

Je rejoignis Vassilia. Nous nous saluâmes puis longeâmes les quais en direction d'une calèche pour aller jusqu'au Caire. A cet instant, une voix forte et joyeuse retentit dans l'air. Il s'agissait de Jean Sémaphore de Montcassin, l'homme qui s'occupa de moi après mes études au lycée Louis le Grand. L'homme, alors presque âgé de soixante ans, était accompagné d'une jeune locale qui se présenta sous le nom de Naama. Un petit singe sur ses épaules poussa quelques cris pour attirer l'attention sur lui. Il tendit sa main pour que je puisse le saluer et fit de même avec Vassilia.

Jean Sémaphore était venu à bord de l'un des tous premiers modèles de voiture à explosion produite en série. Vassilia, la jeune égyptienne, moi et Jean Semaphore filâmes donc vers le Caire, à l'intérieur d'un moyen de locomotion qui étonnait une grande partie de la population locale et des étrangers qui venaient de débarquer.

Je déposai un sac à mes pieds. Il contenait un précieux objet en provenance de l'Afghanistan, que j’étais venue remettre à Jean Sem. C'est ainsi que j’appelais mon vieux mentor. Celui qui m’avait tout appris sur la Burbury's, une société qui s'occupe aujourd’hui encore de la vente de nombreux biens et, d'une manière plus discrète et privée, du trafic d'œuvres d'art et d'objets anciens.

Le Caire, Mai 1888
Nous étions installés dans un restaurant où un groupe local se produisait. Vassilia, Jean Sem et moi discutions de nos dernières aventures. Pour ma part je revenais d'un long voyage en Asie durant lequel je m’étais perfectionnée au kung-fu et initiée à la pratique du yoga. Vassilia était devenue gouvernante pour une riche famille russe. Elle avait décidé de se payer quelques vacances pour découvrir l'Égypte.

Au cours du repas, un vieil égyptien en costume s’approcha de notre table et s'installa après avoir salué tout le monde. Il s'appelait Isam Alfayah. Il se pencha à l'oreille de Jean Sem et lui glissa : « J'ai les derniers papiers. »

Il remit une enveloppe au vieux français et quitta les lieux. Jean Sémaphore nous annonça alors que l'égyptien en question était un recéleur. Le diner reprit alors que des pâtisseries sucrées et du thé arrivaient sur la table. Mais, d'un coup, des cris de panique se répandirent dans la rue. Deux coups de feu venaient d'éclater.

Je me glissais jusqu'à la fenêtre. En bas, dans a rue, gisait le cadavre d'un marchand de fleurs. Plus loin, Isam courrait en zigzaguant entre les petits groupes de personnes qui discutaient ou jouaient dans la rue. Il était poursuivi par deux hommes en noir. Vassilia fila à toute vitesse sans trop rien dire. Naama revint voir Jean Sem qui lui ordonna de ne pas quitter Vassilia des yeux. Je s'élançai dans les pas de la jeune guide, sans trop savoir ce qui se passait, à part qu'Isam semblait en sale posture.

Moi et la jeune guide finîmes par perdre Vassilia de vue. Nous trottinâmes au hasard dans de petites ruelles pour tenter de la retrouver.

Soudain quelqu'un apparut devant moi. Une femme avec un accent étranger s'adressa à Naama :
« Le hammam c'est par là ? »

Il s'agissait de Vassilia. Elle tentait de tromper deux hommes en noir qui l'avait repéré alors qu'elle avait dû suivre jusque là. Ces derniers cessèrent de la suivre, la prenant alors pour une simple touriste un peu perdue. L'un des deux types tenait un pistolet à la main. Il se contentait de le plaquer contre sa jambe pour le dissimuler un peu. L'autre, armé lui aussi, avait fait l'effort de le ranger. Vassilia continua sa route avec moi et Naama comme si de rien n'était, et les deux hommes, d'abord soupçonneux, retournèrent à leur traque.

Après que nous fûmes éloignées de quelques pas, Vassilia affirma qu'Isam était planqué dans le coin et qu'il était nécessaire de le retrouver pour lui venir en aide. Je ne connaissais pas cet Isam mais il trafiquait avec Jean Sem... il n’aurait pas été bon que quelqu'un avec de tels secrets tombe dans de mauvaises mains.

Alors que nous descendions un escalier, une traînée de sang se dévoila nos yeux à la lueur de la lune. Une personne blessée avait tenté de remonter l'escalier. Nous fîmes demi-tour, mais les deux hommes en noir arrivaient dans le sens inverse. Leurs regards en disaient long. Au moindre faux-pas ils auraient abattu celle qui aurait osé les braver.

Mais, plutôt que de leurs laisser le choix, à ces deux types qui semblaient être des tueurs, je crochai le bras du premier à passer devant moi et lui pris son arme. Je pointai le flingue et leurs ordonnai de quitter les lieux. Un petit moment de flottement et de tension palpable se créa.

Le collègue du désarmé bondit en avant et me plaqua à terre, le pistolet glissa sur le sol pavé. Vassilia tenta de désarmer son adversaire avec son ombrelle/épée et manqua de se prendre une balle. Cette dernière fut déviée de sa trajectoire en touchant le torse de Vascilia. Un tintement métallique résonna dans la ruelle pendant quelques instants. Je placai un violent coup de genoux entre les jambes de mon assaillant qui s'écroula inconscient sur le sol, puis je pointai l'autre avec le flingue. Il profita de la confusion pour filer.

Avant de reprendre les recherches pour retrouver Isam, je m'emparai de la carte d'identité présente dans le portefeuille du type inconscient. Portefeuille que la jeune Naama s'empressa ensuite de glisser entre ses petits doigts lestes.

Une minute après, dans les ruelles, nous trouvions un type étendu sur le sol : Isam. Il était en train d'agoniser, appuyé sur l'encoignure d'une porte. Dans ses yeux on lisait clairement que la mort s'emparerait bientôt de lui. Il eu juste le temps de glisser « c'est la boîte qu'ils veulent » et « il faut la donner au club », avant de passer dans l'éternité.

Des policiers anglais arrivaient déjà grâce à la guide. Vassilia joua la femme perturbée, tandis que je préférais ne pas s'attarder dans le coin.

Un peu plus tard dans la soirée, tout le monde se retrouva au restaurant avec Jean Sémaphore. Celui-ci nous entraîna jusqu'à une villa qu'il avait louée pour son court séjour en Égypte. Ainsi il serait plus aisé de discuter au calme de la drôle d'histoire dans laquelle nous venions de tomber.

Alors que nous pénétrâmes dans la villa, un homme apparut sur la mezzanine intérieure du patio. Il avait un crayon à la main et de petites lunettes. Ses doigts étaient tâchés par de l'encre noire. Jean Sem le présenta : Kyle Mc Lenoch.

Vassilia partit se débarbouiller du peu de sang qui avait entaché ses manches et j’en profitai pour questionner Jean Sémaphore sur la fameuse boîte. Mais celui-ci souhaita remettre ce sujet à plus tard. Il se contenta de ramener des dattes, du fromage de lait de chamelle, du chorizo pour terminer le repas interrompu. J’étais contrariée que le secret de la boîte ne me fût pas dévoilé.

Une petite demi-heure plus tard, trois jeunes femmes et leur hôte se retrouvaient dans l'atelier de Mc Lenoch. Celui-ci travaillait sur de faux documents. C'était un faussaire. Il fabriquait des faux pour dissimuler l'origine d'objets d'arts et d'objets anciens.

Plusieurs objets garnissaient les tables en bois de l'atelier. Des statuettes en terre, un vase canope, un pectoral égyptien en perles et pierres précieuses, un buste de terre féminin probablement originaire du Soudan et une statuette en bronze indienne. Et, au milieu de tout cela, une boîte sans ouverture. Ses décorations étaient simples mais étranges. On aurait dit de l'art égyptien avec des animaux marins représentés dessus.

Le singe de Naama, Imhotep, était juché sur l'armoire et ne faisait plus un seul mouvement. Son regard était fixe et il regardait la fameuse boîte comme hypnotisé par celle-ci. Au moment où sa propriétaire revint, appelée par Jean Sem, le singe retrouva ses mouvements. Mais se fut au tour de sa propriétaire d'être subjuguée. Elle avança vers la boîte, la saisit, l'ouvrit sans difficulté et une vive lumière inonda la pièce. La lueur bleue se répandit. Nous fûmes aveuglés quelques instants avant de reprendre peu à peu nos esprits. La boîte était sur le sol. Vide.

Jean Sémaphore ramassa la boîte et regarda Naama avec un intérêt nouveau. Il faut dire que le regard de celle-ci avait changé. Il était passé d'un noir profond à un bleu étrange. Il ordonna à Vassilia et moi de veiller sur la gamine des rues. Vassilia s'occupa d'accompagner Naama chez elle pour qu'elle puisse prendre ses affaires et l'emmener à l'hôtel pour l'y loger. Moi, à qui l'idée de jouer les gardes d’enfants déplaisait quelque peu, je demandai à Kyle s’il avait un peu de temps devant lui. Il parla tout de suite de trafic, mettant la puce à l'oreille à Vassilia et la jeune égyptienne. Un manque de discrétion certain. Je retournai à mon hôtel pour chercher le bouddha en or avec l’impression d’une sale journée pour faire des affaires venait de se dérouler.

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